( 23 juillet, 2014 )

De la formation à l’emploi : Introduction

C’est dans les années qui succèdent  aux trente glorieuses qu’émerge, en France, la problématique d’un chômage « incompressible ». L’insertion professionnelle des individus deviendra de ce fait plus difficile dans le contexte de « crise » qui survient au lendemain des années 1970. Les politiques keynésiennes mises  en œuvre (basées sur les dépenses budgétaires pour soutenir la demande des biens et services afin de favoriser l’emploi) ne parviendront pas à contenir dans sa totalité la destruction d’emploi qui se produit après les deux chocs pétroliers. Les dépenses étatiques pour la « relance » seront par conséquent décrédibilisées et laisseront dominer le courant économique libéral.

Inspiré de l’école de Chicago[1], ce courant de pensée s’imposera d’abord aux Etats-Unis pour ensuite conquérir l’Europe.

Dans ce cadre de changement paradigmatique, les stratégies européennes pour l’emploi (SEE) se saisissent, à la fin du XXe siècle, du principe d’activation[2] dans les mesures de lutte contre le phénomène du chômage. C’est cette procédure d’activation, introduite sur le marché du travail en Europe et qui « s’impose » aux pays membres, que nous souhaitons discuter ici[J1] . Cette orientation politique pour l’emploi nous permet de soulever une problématique qui articule la formation des individus et la persistance du chômage (1). L’hypothèse formulée à ce sujet est développée autour des concepts de la formation des demandeurs d’emploi et de « l’insertion professionnelle » de ces derniers, inscrites toutes deux dans un contexte de transformation  dans l’organisation de la production économique (2).

La France, traversée par de tels changements,  est retenue afin de corroborer notre hypothèse (3). A travers l’action de formation préalable au recrutement (l’AFPR) précisément, dispositif caractéristique des politiques européennes « d’activation des dépenses et des individus »[3], nous montrons pourquoi une telle mesure ne parvient pas à garantir la transition de l’inactivité  à l’emploi des personnes qui en sont privées.


[1] Il s’agit du courant monétariste, initié par Milton Friedman, pour lequel il est question de lutter contre l’inflation des prix sur le marché des biens et services. Dans cette perspective, les dépenses Keynésiennes qui poursuivent le plein emploi sont considérées comme inflationnistes. Elles sont par conséquent rejetées. Plus généralement, le courant libéral analyse le sous emploi des facteurs de production comme le résultat de différentes rigidités des marchés  sur lesquels s’échangent les biens ou les services. Le marché de l’emploi, pris en exemple, est caractéristique de telles rigidités. A ce sujet différents freins sont avancés pour expliquer le chômage. Celui-ci serait le résultat d’une réglementation sur le temps du travail, la protection de l’emploi contre les licenciements, l’instauration de salaires minimums, ou la formation des candidats à l’emploi,…. Cet ensemble de facteurs empêcherait par conséquent d’assurer le plein emploi. Pour plus de détails voir Hoang-Ngoc Liêm, « Rigidités salariales et chômage les frontières classiques du programme néo- keynésien étaient-elles tracées ? », Cahiers d’économie Politique / Papers in Political Economy, 2005/1 n° 48, p. 161-185.

[2]Gautié Jérôme, Le chômage, Paris, La découverte, 2009, pp. 49-66.

[3] Pour une appréciation de l’activation des « individus » et des « dépenses », voir Gautié Jérôme, 2009, ibid., pp. 97-98 ; Erhel Christine, « Politiques de l’emploi : la tendance à l’activation donne-t-elle une place accrue à l’accompagnement ? », Informations sociales, 2012/1 n° 169, pp. 30-38. Il faut par ailleurs préciser que l’AFPR n’est caractéristique que d’un type d’activation. Nous présentons plus loin les différents types d’activation et celui dans lequel nous pouvons classer l’AFPR (cf.  p. 9 dans l’encadré 1 et en note de bas de page).  


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( 23 juillet, 2014 )

1-L’activation dans les politiques européennes pour l’emploi

C’est au début des années 1960 que l’OCDE s’approprie les politiques actives d’emploi, qui apparaissent en Suède dans les années 1930[1], et en transforme progressivement le contenu[2].

L’Etat social actif[3] (ESA) en Europe, en constitue un modèle qui traduit les changements de la prise en charge des risques sociaux. Considérant le marché du travail, l’ESA marque alors la transformation d’un Etat social jugé jusque là trop « passif » et dont le projet est de rendre les individus et les dépenses plus « actifs ». Dans la conception européenne l’activation est saisie « dans le sens d’une préférence systématique accordée à l’engagement des bénéficiaires sur le marché du travail (l’activité), voire d’une condition – plus ou moins contraignante – d’activité introduite pour l’éligibilité aux prestations »[4].

L’objectif est donc de faire du travail une activité « rentable» et de l’engagement de l’individu dans la recherche « active » d’un emploi la contrepartie des droits sociaux qui lui sont accordés. Les expressions de « work first » ou de « make work pay », relatives aux mesures qui incitent au travail caractérisent ainsi le changement des politiques pour l’emploi, passant d’un régime qualifié  de welfare state à celui de workfare state.

La stratégie européenne pour l’emploi s’inscrit dans une telle approche. Le cadre d’action qui la constitue est établi sur différents « piliers », ou directives,  dont l’un d’entre eux poursuit « l’amélioration de la capacité d’insertion professionnelle»[5] des individus et plus précisément encore lorsque l’une des récentes directives précise que  « Les États membres devraient réexaminer les systèmes fiscaux, les régimes de prestations sociales et la capacité des services publics à apporter l’aide nécessaire afin d’accroître la participation au marché du travail et de stimuler la demande de main d’oeuvre»[6].

L’ambition européenne pour l’emploi  accompagne par ailleurs les grandes orientations des politiques européennes (GOPE) dont l’un des objectifs, basé sur le capital humain[7], est de faire de l’Europe une économie des connaissances[8].

Si les mesures européennes envisagées pour l’emploi ne s’appliquent pas avec les mêmes exigences que les règles économiques et budgétaires imposées par « Bruxelles » à l’ensemble des pays membres, elles participent néanmoins à la construction d’un cadre cognitif et normatif qui produit des référentiels et des représentations se diffusant à l’échelle des pays membres.

 Qu’en est-il finalement des résultats des mesures actives pour l’emploi ?

 A un niveau agrégé, le constat qu’il peut être fait n’est pas encourageant. Plus de 10 ans après les intentions formulées à Lisbonne, le projet d’éradiquer de la société le phénomène du chômage n’est pas réalisé. L’Europe reste confrontée à un chômage[9] de « masse », et la France n’échappe pas à un tel constat d’échec.

Différentes hypothèses peuvent être formulées pour expliquer la difficulté avec laquelle certains pays d’Europe, la France en particulier, ne parviennent pas à contenir la destruction d’emploi malgré les dépenses en formation mobilisées dans le processus d’activation.

En considérant la logique européenne (former les individus afin de les préserver du chômage) et les observations que nous pouvons par ailleurs rappeler concernant la situation professionnelle des individus selon leur niveau de formation[10], l’hypothèse qui s’impose en premier lieu est celle qui renvoie au niveau de formation. Celui-ci resterait trop insuffisant pour soustraire les individus du risque du chômage. L’autre hypothèse, qui est retenue dans la présente démarche, renvoie au contenu de la formation. Une formation au contenu  spécifique  à l’emploi qui est visé par les dispositifs d’activation constituerait un possible obstacle à la mobilité professionnelle et « l’employabilité » à moyen terme des personnes. Cette hypothèse est à considérer si nous acceptons l’idée d’un contexte de «volatilité»[11] de l’emploi.

La théorie du capital humain, sur laquelle se fondent les politiques européennes, est l’élément d’interrogation que nous mobilisons dans notre démarche. C’est à travers ce concept que nous questionnons les mesures d’activation inspirées des stratégies européennes et dont nous trouvons une mise en œuvre en France. En ce sens, il s’agit de considérer les deux types[12] de la formation, constitutifs du capital humain.

La partie qui suit, consacrée à la « formation » des actifs sur le marché de l’emploi, nous permet d’appréhender cet aspect du concept. Celui-ci renvoie précisément  au contenu de la formation dans son caractère de spécificité à un emploi en particulier ou apprécié dans un contenu plus « général ». Dans un certain sens, il peut s’agir de l’enjeu que représentent la polyvalence et la spécialisation des salariés de l’entreprise dans le projet d’une organisation « optimale » du travail.


[1]L’approche est inspirée de celle de la « politique sociale productive » suédoise de Myrdal datant des années 1930: « with the early origins of the social investment perspective in the Myrdals’ productive social policy’ approach put forward in Sweden in the 1930s », p.2 dans N. Morel, B. Palier and J. Palme (eds), Towards a Social Investment Welfare State. Ideas, policies and challenges, Bristol, The Policy Press, 2012.

[2] « C’est sous l’influence de l’évolution néo-libérale très marquée des prescriptions de l’OCDE, que les politiques actives sont devenues des équivalents de politiques de l’offre de travail et des dispositifs visant, au moins partiellement à délégitimer, sous le couvert de justifications orthodoxes de politique économique, la protection sociale (assistance et assurance chômage) considérée comme décourageant la recherche de travail » , p.311, dans Barbier Jean Claude, « Peut-on parler d’« activation » de la protection sociale en Europe? », in Revue française de sociologie, 2002, 43-2, pp. 307-332.

[3]L’expression vient de Franck Vandenbroucke (1999), cité par Beraud Mathieu,  Eydoux Anne, « Activation des chômeurs et modernisation du service public de l’emploi, les inflexions du régime français d’activation », in Accompagnement dans  et vers l’emploi, N° 119, 2009.

[4] Barbier Jean Claude, 2002, ibid., p. 308

[5] Barbier Jean Claude, 2002, ibid., p. 325

[6] Lignes directrices Europe 2020 et adoptées en 2010 citées dans Erhel Christine, 2012, Op. Cit.

[7] Becker G. S, Human Capital, A Theoretical and Empirical Analysis, with Special Reference to Education, third edition, University of Chicago Press ed., Chicago, 1993.

[8] Voir à ce sujet la stratégie de Lisbonne dans De Palma Francecso, Tchibozo Guy, « La politique de l’emploi de l’Union européenne », In Dévoluy Michel (dir), Les politiques économiques européennes, Enjeux et défis, Seuil, 2004, pp. 171- 204.

[9] En 2001, le taux de chômage moyen des 15 pays membres est évalué à 7,4 %, en 2013 il valait 11,1%. Dans le cas de la France il vaut respectivement 8,6 % (2001) et 9,9% (2013), Eurostat.

[10] La formation supérieure protège en effet du chômage, voir à ce sujet pour le cas français Pollet Pascale, Le Rhun Béatrice, « Diplômes et insertion professionnelle », Insee Références, France, portrait social, 2011 et pour l’Europe ANNE Denis, L’HORTY Yannick, « Intensité et structure du chômage : une comparaison européenne », les papiers du CERC, N° 2006-1, 2006. Il est également possible de consulter les bases de données d’Eurostat à ce sujet.

[11] Précisons qu’il n’y a pas une instabilité de l’emploi plus grande aujourd’hui qu’elle ne l’était par le passé (sur les 30 dernières années, Christophe Ramaux observe une stabilité de l’emploi. La mesure est basée sur l’ancienneté des salariés en entreprise). En revanche, les formes de mobilités se sont transformées. « Choisies » par le passé, elles sont devenues des contraintes dans le contexte de chômage plus important « aujourd’hui ». Cette observation s’accompagne  d’une situation plus instable pour les individus privés d’emploi et candidats au travail. Voir pour plus de détails Ramaux Christophe, « Les emplois ne sont pas plus instables : Explications et incidences sur la régulation de l’emploi », Economies et Sociétés, n°26, août 2005, pp. 1443-1470 et Gautié Jérôme, « Quelle troisième voie ? Repenser l’articulation entre marché du travail et protection sociale », CEE, N° 30, Septembre 2003.

[12] Parmi les dimensions du capital humain dont dispose l’individu, c’est particulièrement la formation que nous retenons dans notre article. Celle-ci est considérée selon deux caractéristiques. L’une est qualifiée de « générale », l’autre de « spécifique ». Si nous suivons les observations de G.S Becker sur le type de formation, cette dernière participe d’une productivité (et donc d’une employabilité) plus ou moins grande lors de la mobilité de l’individu sur le marché du travail : If training were not completely specific, productivity would increase in other firms as well, and the wage that could be received elsewhere would also increase. Such training can be looked upon as the sum of two components, one completely general, the other completely specific”, dans Becker G. S, Op. Cit., p. 33.


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( 23 juillet, 2014 )

2 La formation professionnelle des demandeurs d’emploi dans un contexte d’incertitude économique

La littérature consacre différentes terminologies concernant la formation professionnelle des adultes. Elle renvoie, selon le cas, à différentes catégories de personnes. Il est possible de citer les jeunes qui sortent de l’institution scolaire sans aucune qualification, les demandeurs d’emploi et les actifs employés qui bénéficient de formations dans un objectif de renouvellement ou de maintien de leurs qualifications et/ou compétences.

La formation des adultes est, par ailleurs, mobilisée dans le projet de « réinsertion » des individus, suite aux licenciements qui accompagnent les cycles de l’activité économique.

Ces exemples de formation ne reflètent qu’une partie des multiples déclinaisons de la formation, mais ils suffisent à qualifier la définition attribuée à la formation professionnelle des adultes  « d’incertaine » si elle ne décrit pas l’individu dans son profil socio-démographique  et le projet qu’elle vise précisément.

Les termes consacrés par l’OCDE à la formation professionnelle continue nous paraissent constituer un premier élément d’appréhension de notre objet, afin d’en réduire le caractère polysémique. La formation professionnelle continue qui s’adresse aux actifs employés est définie comme « toutes les activités organisées et systématiques d’enseignement et de formation auxquelles les adultes participent pour acquérir des connaissances et/ou des qualifications nouvelles dans le cadre de leur emploi  du moment ou dans la perspective d’un emploi futur, pour améliorer leur salaire et/ou leurs possibilités de carrière dans l’emploi qu’ils occupent ou dans un  autre… »[1]

Cette appréciation de la formation continue fixe différents objectifs qui nous semblent, au-delà des seules personnes en activité, être destinés aux personnes privées d’emploi. Elle est retenue d’autant plus qu’elle s’inscrit dans des perspectives communes à celles qui lui sont associées dans le projet européen pour l’emploi (la flexibilité du facteur travail et l’employabilité par la mobilité et l’adaptation des individus à l’emploi). La présente définition permet  également de souligner l’orientation économique et exclusive assignée à la formation tout au long de la vie.

Ces différents aspects (de la définition que fait l’OCDE à propos de la formation professionnelle continue à l’activation des individus sur le marché du travail par la formation – courte – et  des dépenses par l’aide à l’emploi dans les stratégies européennes),  nous permettent de donner à la formation des personnes privées d’emploi la définition qui suit, limitée sans doute mais caractéristique des programmes européens relatifs à la formation des demandeurs d’emploi.

Ainsi la formation des « chômeurs » peut être définie comme  un processus de courte durée assurant la transmission d’une compétence nécessaire à l’individu dans l’exercice (futur) de sa fonction de productions économiques (de biens et/ou de services). Le processus conjugue la formation et la mise en situation d’emploi.

Les termes dans lesquels la formation des adultes est ainsi évoquée inscrivent notre discussion dans le cadre précis de « l’insertion professionnelle » des individus.

2.1 De l’insertion professionnelle à la transition vers l’emploi de « l’actif inemployé»

 Différents éléments peuvent être retenus pour comprendre le processus « d’insertion professionnelle » auquel est associée la formation dans les mesures d’activation, appréhendant dès lors une vision durkheimienne du concept (si on considère la socialisation de l’individu à l’univers du travail) et à certains endroits wébérienne (lorsqu’il s’agit de comprendre le rapport de l’individu au travail).

Dans l’approche qu’en fait Serge Paugam[2], l’insertion professionnelle est appréciée au travers de la stabilité de l’emploi et de la satisfaction au travail. Si nous nous plaçons du point de vue de la norme d’emploi[3], toute personne est insérée lorsqu’elle occupe un poste à plein temps et à durée indéterminée. « L’insertion professionnelle » est de la sorte considérée comme le passage du statut d’actif inemployé à celui d’actif employé.

Une appréciation plus large de l’insertion, comme processus d’affiliation[4], permet d’en saisir les dimensions sociales auxquelles se confronte l’individu dans ses tentatives d’accès à l’emploi.

C’est particulièrement le cas du public qualifié de précaire[5]. De telles situations peuvent également concerner le jeune public privé des normes ou des valeurs[6] qui freinent le passage d’un univers social et ses représentations à un autre[7]. En ce sens, il est possible de considérer  ces « questions sociales » au travers des problématiques[8] ou des leviers[9] identitaires des personnes.

La dimension sociale s’impose donc à la compréhension de la situation de l’individu vis-à-vis de l’emploi, de même qu’elle est utile pour comprendre les tentatives d’accès au monde du travail, ses « réussites » et ses « échecs ».

Dans notre article, nous nous écartons cependant d’une approche sociologique au plus près de l’individu. Nous faisons le choix de considérer l’organisation du travail avec ses conséquences sur les conditions d’accès à l’emploi. La division du marché du travail, à laquelle renvoie une telle organisation,  nous semble intéressante à appréhender dans le contexte  « d’incertitude » économique. Cette dernière  renvoie à un écoulement moins assuré de la production sur le marché des biens et/ou services en « rupture » à la production de masse de l’époque des trente glorieuses. Le modèle d’organisation fordiste de la production s’accompagnait, si nécessaire, de la constitution de stocks des quantités produites agissant comme une variable d’ajustement aux conjonctures économiques. Dans l’époque plus « récente », les incertitudes pèsent davantage sur le facteur travail et se traduisent par le développement de formes d’emploi  dites atypiques[10].

L’insertion professionnelle des individus, appréciée dans sa forme idéale-typique, se trouve de la sorte fragilisée. Si elle s’est rattachée par le passé à un contexte de « plein emploi », ayant participé à rendre les mobilités professionnelles moins contraintes, le développement de la flexibilité externe et quantitative[11] participe au caractère plus incertain de l’insertion professionnelle des individus « aujourd’hui ».

Le concept de transition[12], que nous considérons comme un processus renouvelé[13] et permanent[14] de l’accès à l’emploi, semble de ce point de vue plus approprié pour décrire la situation des individus sur le marché du travail. La transition, bien plus que l’insertion professionnelle, est la manifestation d’une situation d’emploi inscrite dans un nouveau plein emploi[15]. La situation professionnelle est dès lors à saisir au travers  du phénomène de transit[16] bien plus que celui de placement.

La mobilité contrainte, à laquelle sont soumis les individus, nécessite par conséquent de considérer le capital humain dont ils disposent pour y faire face.

L’un des versants de ce capital participe de sa possible transferabilité (general training) lors des mobilités professionnelles externes de l’individu, l’autre des probables freins à son « employabilité » (specific training).

La formation continue vise très souvent ce dernier aspect au travers des stratégies de fidélisation[17] des employés par l’entreprise, dont l’intérêt est de constituer une qualification, voir une compétence, spécifique à son organisation lorsque l’intérêt du salarié serait de s’approprier un capital humain générique et transférable[18] lors des mobilités externes. En l’espèce, la formation qualifiée de spécifique à une entreprise est celle qui est généralement visée par l’employeur dans la formation de son personnel. Elle est privilégiée même si elle participe d’un certain paradoxe qui provient en partie des exigences de flexibilité que l’organisation désire réaliser dans l’emploi des ressources humaines dont elle peut disposer.

Le paradoxe  renvoie par ailleurs aux enjeux que présentent la polyvalence et la spécialisation des individus dans le cadre de l’organisation[19]productive de l’entreprise. Cet aspect, portant sur la  polyvalence et la spécialisation,  converge avec l’appréhension que nous pouvons faire au sujet du contenu de la formation initiale ou continue acquis par les individus. Spécifique à l’emploi auquel elle prépare ces derniers, la formation participerait du processus de spécialisation. Son contenu plus « général » la rapprocherait davantage de la polyvalence des salariés[J1] .

Cette dernière caractéristique est à retenir dans le contexte plus « instable » de la production économique. Dans le domaine industriel en effet, la plasturgie[20] ou l’automobile[21] ont été marquées par la recherche de la polyvalence du facteur travail suite aux stratégies commerciales qu’elles ont du adopter dans leurs activités.

Le secteur des services quant à lui, en particulier celui de l’hôtellerie-restauration[22], n’échappe pas à la logique d’adaptation de l’organisation du travail au contexte aléatoire du marché. Les directeurs d’établissement visent la polyvalence du personnel qu’ils recrutent, bien plus que sa spécialisation.

La polyvalence, qui favorise la mobilité des individus d’un poste à un autre, semble de ce point de vue « s’institutionnalise(r) et s’impose(r) en norme sociale à l’ensemble des salariés »[23].

 

Nous pouvons accepter l’hypothèse qu’une telle logique traverse le marché du travail dans son ensemble. Considérant un tel contexte, une absence de la composante transférable[24] de la formation reçue par les candidats à l’emploi participe d’un facteur probable de discrimination sur le marché du travail. Notre analyse, présentée dans la partie qui suit, vise à le montrer[25]. Elle s’appuie dans cet objectif sur l’étude de l’action de formation préalable au recrutement (cf. encadré 1).


[1] Regards sur l’éducation, OCDE, 1997, pp. 206-207.

[2] Paugam Serge, le salarié de la précarité, PUF, Paris, 2000, pp. 95-104.

[3] Demazière Didier, Sociologie des chômeurs, Paris, La découverte, 2006.

[4] Ce concept qui prend en compte la situation d’emploi et l’ampleur du réseau social dont la personne est entourée renvoie à celui de la désaffiliation (Castel Robert, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Gallimard, 1995), dans Jaminon Christine, « Quelles trajectoires pour les peu qualifiés ayant fréquenté des dispositifs d’insertion », in la formation professionnelle continue, l’individu au cœur des dispositifs, Paris, De Boeck, 2003.

[5] En particulier les normes sociales attendues et généralement absentes chez le public « précaire » et candidat à l’emploi lors des entretiens de recrutement, voir à ce sujet Castra Denis, L’insertion professionnelle des publics précaires, Paris, PUF, 2006.

[6] Jellab Aziz, « L’insertion sociale comme préalable à l’insertion professionnelle : le cas des jeunes 16-25 ans fréquentant la Mission locale », in L’homme et la société, N. 120, 1996, Les équivoques de la laïcité, pp. 97-109.

[7]« L’envie de travailler ou l’envie de fonder une famille sont écartées des sentiments d’urgence au profit de projets très utopiques (Dubet 1973) à fortes vocation identitaire. Dès lors la réalisation de soi est conçue en dehors de tout, le plus souvent  en totale opposition avec la réalisation professionnelle » dans Nicole-Drancourt Chantal, « Mesurer l’insertion professionnelle », in Revue française de sociologie, 1994, 35-1, pp. 37-68.

[8] Cette problématique n’est pas exclusive à la seule expérience juvénile. Pour Claude Dubar l’insertion professionnelle peut être appréhendée au travers des formes identitaires (produits d’une socialisation à une identité professionnelle mais aussi comme le résultat de transactions relationnelles). Pour plus de détails voir Dubar Claude, « Se construire une identité », in Sciences humaines hors-série, n° 40, 2003, pp. 44-45 et Dubar Claude, « Formes identitaires et socialisation professionnelle », Revue française de sociologie, 1992, 33-4, Organisations, firmes et réseaux, pp. 505-529.

[9] Pour G. Herman et D. Van Ypersele, le chômeur compare sa situation à celle des individus occupant un emploi et socialement mieux valorisés. Le résultat de cette mise en comparaison, envisagé dans sa forme défavorable, donne lieu aux possibles stratégies adoptées par les individus en situation de chômage. La comparaison du chômeur avec le salarié se structure autour de différents critères qui caractérisent la situation entre les groupes (la légitimité ou l’illégitimité de la hiérarchie, la stabilité ou l’instabilité et la perméabilité ou l’imperméabilité). Pour plus de détails voir Herman Ginette, Van Ypersele David, « L’identité sociale des chômeurs », Les cahiers du cerisis, UCL, N° 10, 2004, p. 8.

[10] Voir pour plus de détails Gautié Jérôme, 2003, Op. Cit.

[11] L’entreprise emploie des individus dont les contrats sont de courtes durées,  le plus souvent pour adapter sa production aux fluctuations du marché. L’autre volet de la flexibilité externe est la possibilité de recours au licenciement…

[12] Celui-ci est appréhendé par la théorie des marchés du travail transitionnels. Ce concept est définit comme l’ensemble des situations de passages récurrents du chômage, ou de toutes autres situations qui qualifient l’individu d’actif inemployé, à une situation d’emploi. Voir pour plus de détails Gunther Schmidt cité par Gazier Bernard, Tous « sublimes », Vers un nouveau plein-emploi, Paris, Flammarion, 2003, pp. 11-204.

[13] Dans les qualifications et les compétences.

[14] Un va-et-vient permanent entre les différentes situations professionnelles (emploi, chômage, formation,…).

[15] Gazier Bernard, 2003, Op. Cit.

[16] Foudi Rachid, Stankiewicz François, Trelcat Marie-Hélène, « L’efficacité des stages de formation, le cas des demandeurs d’emploi de faible niveau de qualification », Formation et Emploi, N° 41, (année ???).

[17]Goux Dominique, Maurin Eric, « Les entreprises, les salariés et la formation continue », in Economie et statistiques, N° 306, 1997, pp. 41-55.

[18]Autier Fabienne, « Vous avez dit : Capital humain ? », 2006, Gérer et comprendre, N° 85, pp. 63-72.

[19]Peaucelle Jean-louis,  « Vices et vertus du travail spécialisé », Annales des Mines – Gérer et comprendre, 2009/3 N° 97, p. 28-38.

[20] Lozier Françoise, Sulzer Emmanuel, « Tension entre spécialisation des entreprises et polyvalence des opérateurs : le cas de la plasturgie », Revue internationale sur le travail et la société, mai 2006.

[21] Même si l’article traite d’abord de la qualification et déqualification des ouvriers du secteur automobile, les auteurs mettent en perspective la nécessité de la polyvalence attendue chez les salariés de ce secteur, Armelle Gorgeu et René Mathieu, « La déqualification ouvrière en question », Formation emploi, N° 103, 2008.

[22] Michèle Forté, Sylvie Monchatre,  « Recruter dans l’hôtellerie-restauration : quelle sélectivité sur un marché du travail en tension ? », La revue de l’Ires, N° 76 – 2013/1.

[23]Henri Eckert, Sylvie Monchatre,  « Les carrières ouvrières à l’épreuve de la polyvalence, analyse de deux cas français », Revue multidisciplinaire sur l’emploi, le syndicalisme et le travail (REMEST), 2009, vol. 4, Nº 2

[24] C’est au regard de l’adéquation du poste à l’emploi que la portée de « l’employabilité » des individus selon le type de capital humain détenu est appréciée. Un des indicateurs évoqué par  Bruyère Mireille et Lemistre Philippe, pour mesurer l’adéquation de la spécialité de la formation à l’emploi occupé, est la rémunération. Pour l’ensemble de la population de salariés cette adéquation (formation-emploi) n’est pas majoritaire (seulement 44 % des individus sortis en 1998 des formations professionnelles en France occupent 3 ans plus tard un emploi dans la spécialité à laquelle ils ont été formés). L’inadéquation de la formation à l’emploi ne donne pas lieu à une moindre rémunération (la différence des rémunérations entre les individus occupant un poste dans leur spécialité et ceux occupant un emploi différent de leur spécialité n’est pas en effet significative). L’explication apportée par les auteurs montre que les employeurs « hiérarchisent » et rémunèrent les individus en fonction du contenu transférable de la formation professionnelle détenue. Voir pour plus de détails Bruyère Mireille et Lemistre Philippe,  « Spécialités de formation et d’emploi : comprendre l’absence de correspondance », Cereq, Net. Doc N° 52, 2009.

[25] Nous faisons un rapprochement entre le caractère « transférable » et « général » de la formation dont dispose l’individu. En supposant que ce qui est « transférable », c’est le contenu « général » du capital humain.


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3-Une Conclusion

3.1 Les observations et ses limites

 

A ce stade de notre article, il convient de rappeler  certains points importants.

Il faut tout d’abord noter un taux de chômage des hommes plus élevé que celui des femmes. Le chômage des personnes âgées de moins de 25 ans est, quant à lui, plus faible que celui de leurs aînés. Ces deux observations ne convergent pas avec celles qui concernent ces catégories d’individus lorsque nous considérons la situation d’emploi au niveau national (les « jeunes » et les femmes sont en effet les populations les plus confrontées à la situation de chômage, contrairement aux résultats obtenus dans notre étude).

Il est possible de chercher une explication à ce constat dans le fait que les individus, composant notre échantillon, n’ont pas bénéficié du dispositif à la même date. Par conséquent, la situation d’emploi 18 mois après leur sortie du dispositif (pour laquelle apparaît le différentiel) peut se distinguer du niveau de chômage tel qu’il est mesuré au niveau agrégé sur une même année. L’autre élément d’explication à envisager est  le secteur d’activité ou le métier pour lequel le dispositif est mis en œuvre et dans lesquels les individus sont employés. Nous n’avons pas pris en compte cet aspect particulier de l’emploi. Il peut constituer l’autre élément d’explication du différentiel de chômage que nous avons observé.

Concernant le taux de marge d’erreur évalué à 6,24 %, il est quant à lui légèrement supérieur au taux de 5 % généralement admis pour réaliser les inférences statistiques. En multipliant le nombre d’individus, nous pourrions effectuer une généralisation plus acceptable des éléments de conclusion qui suivent. Il serait enfin utile de vérifier la représentativité de notre échantillon à la population mère sur le critère du niveau de formation, lequel n’a pas été réalisé faute de son absence dans le document[1] officiel portant sur l’AFPR et mobilisé dans notre étude.

3.2 La spécificité de la formation et  l’employabilité des individus

La spécificité de la formation à l’emploi visé par le dispositif AFPR  entretient une relation statistiquement significative sur la situation d’emploi à moyen terme. Cette relation est relative à la situation professionnelle des femmes, des bénéficiaires du dispositif faiblement dotés en capital académique (égal au bac) et des personnes dont la tranche d’âge est supérieure à 25 ans. Pour ces catégories de population, les risques d’être au chômage plutôt qu’en emploi augmentent lorsque la formation cible le simple appariement de l’individu à l’emploi auquel le dispositif le « prépare ».

 

A l’exception des personnes appartenant à la catégorie d’âge « de 25 à 49 ans » (généralement cette catégorie d’âge bénéficie des taux d’emploi les plus favorables sur le marché du travail), la formation dont la spécificité est « forte » pénalise les individus qui subissent déjà une discrimination sur le marché de l’offre et de la demande d’emploi.

A l’effet Matthieu, qui constitue un premier obstacle empêchant les individus faiblement dotés en capital académique de compenser « leur retard » par la formation tout au long de la vie, s’ajoute un effet pervers du dispositif étudié ici. L’action de formation, dont les effets à court terme sont déjà discutables[2], tend à affaiblir « l’employabilité » de ses bénéficiaires à moyen terme.

Ces différentes observations nous permettent de considérer le caractère spécifique de la formation comme une limite « remarquable » de l’action préalable à l’emploi.

3.3 Le capital humain et son versant « générique »

Le capital humain, à travers les deux dimensions qu’il présente, invite à considérer la mesure d’activation par la formation des individus dans une démarche qui se distingue de celle qui vise l’urgence du travail. Un contenu plus « général » des formations, particulièrement en direction des personnes les plus vulnérables sur le marché du travail, participerait à améliorer leur chance d’accès à l’emploi et probablement le maintien de leur « employabilité » à moyen terme.

Compléter les formations par le versant générique du capital humain réduirait les risques de chômage des individus sur un marché du travail traversé par les contraintes de mobilités professionnelles. Réaliser un tel projet, ne résoudra pas cependant l’autre difficulté que présente la formation des individus. Modifier le contenu de cette ressource, ne nous permet pas de dire si sa mobilisation par l’ensemble des individus se concrétisera.

***


[1] Gaumont Sandra, 2012, Op. Cit.

[2] Le taux de retour à l’emploi à l’issue du dispositif n’est pas en effet « exceptionnel » dans le sens où 60,61 % des bénéficiaires ont connu une transition favorable du chômage vers l’emploi, mais il est remarquable compte tenu de l’objet de la mesure qui consiste à assurer l’appariement d’un individu par la formation à un poste de travail. Il devrait par conséquent afficher des résultats plus favorables à l’emploi.


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( 19 mai, 2012 )

LE SUPPORTER DU PARTI SOCIALISTE

L’électeur de gauche s’est émancipé de l’histoire du grand récit socialiste pour n’en retenir que le mythe,  avec sans doute les éléments hérités et conservés au cours de l’histoire individuelle, tels que  le caractère social et la  dimension humaine attribués au socialisme. Les individus s’accordent pour le plus grand nombre  sur les fondamentaux  du  Parti Socialiste, dans ce qu’il fut, en regrettant parfois sa direction sociale-démocrate d’aujourd’hui. Cette politique est acceptée selon les uns, et condamnée par les autres qui la jugent trop proche des politiques économiques libérales. Mais il faut considérer la relation de l’individu au parti socialiste selon d’autres critères, autres  que celui qui relève de l’orientation économique récente du « grand parti de gauche ».

La socialisation et l’éloignement politique au parti socialiste

La relation entre l’individu et le parti socialiste est donc à apprécier dans une dialectique qui rapproche dans certaines situations ou qui éloigne selon d’autres considérations. Cet « aller et retour » entre l’adhésion et le rejet est  la conséquence d’une socialisation qui place l’individu dans une sensibilité politique de gauche. Mais celle-ci est remise en cause par l’expérience vécue, et l’émergence  de convictions nouvelles. Ainsi la socialisation n’assure pas la fidélité totale, même si elle laisse présente dans l’imaginaire de l’individu, l’exclusivité « humaniste » héritée de l’histoire socialiste.

Ainsi, la « prise de distance » n’est pas sans manifester un retour à l’adhésion au parti socialiste, lorsque l’individu voit dans la vie politique se confronter deux perspectives, dont l’une porte un espoir de la préservation sociale et humaine, et une autre qualifiée d’individualiste, et redoutée par l’électeur. La  sensibilité « sociale » reste fondamentale et propre au socialisme. Elle  constitue alors, lorsque l’électeur  voit s’éroder les frontières entre les deux grands partis, le critère persistant de distinction et dont il est possible d’imaginer la reproduction ad infinitum. Celle-ci  le sera très probablement au regard des multiples sphères de vie fréquentées par l’individu, et qui constituent un système d’ancrage politique. (Voir conclusions pages 40 et 48). Si ce dernier n’assure pas une adhésion totale au parti socialiste, il entretient néanmoins un certain credo social de gauche.

Il faut par ailleurs apprécier la relation au parti socialiste à travers la classe sociale à laquelle l’individu appartient. Rappelons que celle-ci a constitué un élément essentiel de la réflexion présente.

Les classes sociales et l’orientation politique

Il convient de rappeler ici l’élément axial de la problématique exposé en introduction et qui laissait penser à « la fin de l’identification partisane ». Les résultats décrits plus haut, et complétés par ceux de l’enquête IFOP[1], montrent une rupture de la relation entre les ouvriers  et le parti socialiste. Mais celle-ci  n’est que le versant affaiblit d’une congruence entre la classe sociale et le parti dominant de gauche. Il est en effet possible d’observer une relation entre la catégorie sociale et le parti socialiste qui se substitue à celle qui a pu exister, même partielle, entre le parti et les ouvriers. Cette relation concerne les individus appartenant aux classes sociales des professions intermédiaires, professions libérale, cadres (Voir tableau 3 page 30 et annexe page 98). Si l’identification partisane comme élément de préférence politique ne peut être invalidée, il faut néanmoins noter  son renouvellement.

Le phénomène qui est apparu dans les élections précédentes, celui de l’érosion du vote de classe, se confirme donc[2]. Il exprime ainsi la recomposition de  la base électorale du Parti Socialiste, en même temps qu’il fait exister un facteur différent, pour ne pas dire nouveau, de sensibilité politique chez l’électeur.

Les résultats qui portent sur le positionnement politique selon les thèmes (économique, social et culturel) précisent en effet la relation établit entre la classe sociale et l’adhésion au parti politique  par le facteur culturel (Voir tableaux 8 et 10 pages 35 et 37).

Le diplôme scolaire évoqué comme une probable expression de la  « composante culturelle », constitue manifestement une variable  déterminante de la préférence pour le  parti socialiste (voir le tableau du profil des électeurs du parti socialiste et celui du Front de gauche par niveau d’étude page 23). Il ne permet pas toutefois d’en constituer un facteur exclusif de sensibilité aux thèmes culturels et par conséquent aux thèmes économiques ou sociaux (Voir tableau page 39). L’expérience vécue par les individus semble produire plus de conséquences  dans la proximité ou l’éloignement à l’un ou l’autre de ces pôles (économique, social ou culturel), que ne semble le faire le diplôme dans son niveau ou dans la discipline étudiée.

Les  valeurs constituantes de la culture doivent donc, en  même temps qu’elles complètent la catégorie sociale comme déterminant du choix politique, être corrigées par l’expérience sociale et professionnelle de chaque individu. Le poids du secteur (marchand ou non marchand) occupé par l’individu, et qui s’exerce sur son orientation politique avec ses motivations économiques, sociales ou culturelles, participe d’un probable déterminant de la « préférence » politique. (Voir tableaux 3 et 3.1  page 30).

L’acteur et le spectateur

Le poids du secteur marchand comme résurgence du conflit historique de classe[3]  se justifierait au regard des rapports sociaux qui existent dans le secteur marchand, et pouvant  se distinguer de ceux que l’on peut rencontrer dans le secteur non marchand. cette prise en compte du caractère économique de la profession de l’individu, replacerait alors  ce dernier dans un antagonisme de classe, le renvoyant au sujet social décrit par Michel Wieviorka[4]. Un sujet plus attentif à la dimension économique, liée à la position technique et sociale qu’il occupe dans le cadre de son activité professionnelle. A ce titre, l’entreprise est un lieu dans lequel la production et ses coûts, la valeur ajoutée, la compétition et la compétitivité prennent du relief certainement plus qu’ailleurs.

Le sentiment d’injustice, comme conséquence de la situation précédente, produit alors une expression différente de ce qu’elle qui peut exister dans le secteur non marchand. L’individu du secteur marchand (quel que soit le statut qu’il occupe, employé, ouvrier ou chef d’entreprise) est  un « acteur », au sens qu’il est possible de le considérer en  prise directe avec la symbolique  antagoniste de classes et  ses expressions revendicatives, en particulier le partage de la richesse économique. L’individu du secteur non marchand, et précisément celui du secteur public, se trouve dans la majeure partie des cas dans une situation professionnelle différente.

Il ne semble pas être confronté avec la même intensité aux enjeux productifs que l’individu du secteur marchand peut vivre. Il peut paraitre alors recevable de le considérer  comme un « spectateur » du conflit ouvrier qui se produit, et dont il semble être bien éloigné.

C’est dans cette différence du rapport vécu ou distant à l’environnement marchand et sa réalité économique, que peuvent s’expliquer les variations du poids économique, social ou  culturel. Celles-ci  exprimant des motivations plus ou moins utilitaristes chez l’électeur.

Le facteur économique (particulièrement la revendication salariale) éloigne alors du Parti Socialiste pour rapprocher l’individu des partis les plus extrêmes. Quand ce n’est pas vers le Front de Gauche (Voir tableau page 39), il est possible d’imaginer que ce soit vers le Front national que s’exprime  cette adhésion.

il faut  toutefois noter une différence qui renvoie au concept des valeurs (en référence à la culture), celle ci  étant dans le cas d’espèce relative à la préférence nationale, que l’électeur du Front de Gauche rejette et que celui du Front National semble soutenir. Pour en juger, ou bien  pour y trouver un élément d’appréciation possible, il faut se référer au déroulement  de la campagne électorale de 2012, particulièrement dans sa phase finale. Ayant commencé sur « un référendum  sur l’argent», elle  se concluait sur celui de  l’immigration. En dehors de la tension que le discours suscite, le champ des valeurs témoigne  de  la culture comme déterminant probable de l’orientation politique aujourd’hui.

Du  sujet social au sujet culturel

C’est de la sorte que l’on peut juger du poids culturel dominant les attentes des individus. Cette sensibilité ne laisse pas absente les motivations économiques ou sociales (Voir tableau 8 page 37). L’expression  culturelle de la motivation politique   est à situer au regard de l’érosion de  l’antagonisme historique de classe, même s’il peut réapparaître épisodiquement dans l’actualité sociale et comme  derniers éclats avant son extinction. Il faut en effet saisir les conflits sociaux  récents au regard  des oppositions qui se situent  hors de l’entreprise et qui dépassent le seul cadre national. Les confrontations s’éloignent des questions économiques pour replacer la dispute commune[5]  dans le champ  culturel. Cette expression est commune à  l’ensemble des individus. Elle semble trouver l’une de ses sources au regard de la mondialisation compétitive, qualifiée de fatale ou dangereuse selon le discours.

La mondialisation, de la même manière que  la construction européenne, ne fait pas l’objet de critiques en référence au seul thème économique. Les observations, les  craintes et les appréhensions qu’alimente la mondialisation ou l’Europe existent aussi pour des raisons  culturelles (voir tableau 7 page 34). Il est possible d’expliquer une telle situation en considérant la position de l’individu, plongé dans un espace national élargi aux rapports économiques, sociaux et culturels mondiaux.

Le sujet social  qu’il était, inscrit dans un cadre économique et national se laisse submerger par un sujet culturel qui  attend de la mondialisation un  modèle qui sorte de la seule logique « marchande ». Le sujet culturel est par ailleurs enclin à des attentes d’ordre écologique lorsqu’il soutient les politiques de gestion durable  des ressources  de toutes natures (économique, humaine et environnementale) et qu’il souhaiterait voir imposées dans les échanges mondiaux et aux acteurs peu soucieux de l’équilibre social, économique, écologique et culturel.

Cet ensemble d’attentes et de nouvelles contraintes est à mettre en perspective de ce Bronislaw Malinowski cite au sujet d’un nouveau  niveau de vie [6]et que l’on peut traduire par mode de vie, imposé par l’appréciation du monde d’un point de vue échappant à la logique économique:

« Il se crée donc ce que l’on pourrait appeler très généralement un nouveau niveau de vie, qui dépend du niveau culturel de la communauté, du milieu, et du rendement utile du groupe. Un niveau de vie culturel, toutefois,  implique que de nouveaux besoins se font jour, et que de nouveaux impératifs ou de nouveaux déterminants s’imposent à la conduite humaine »

 Il n’est pas certain que cette volonté de recréer le paradis perdu ne l’emporte sur l’aménagement du purgatoire[7] tant l’économie obéit à un cycle alternant entre une croissance incertaine et des dépressions plus fatales.

Les politiques nationales sont appréciées dans une intégration mondiale qui leur laisse en effet peu d’amplitude sur les actions économiques et sociales. Ces dernières sont appréciées à travers  une adaptation  de programmes établis à l’étage supérieur de l’organisation mondiale  échappant à la souveraineté du peuple et qui interrogent sur les fondements démocratiques.

La contrainte extérieure d’un côté et la poussée culturelle intérieure peuvent par ailleurs laisser penser à une action politique nationale exclusivement engagée dans la gestion culturelle de la société. Cette éventualité peut  alors interroger  à son tour sur l’identité des  gagnants et sur celle des perdants  dans le recul du poids économique sur les sociétés. Cette situation  imposerait alors une redéfinition ou une requalification de la  justice telle qu’elle a pu exister jusqu’à présent.


[1] Le faible taux du vote ouvrier pour le  parti socialiste avec une réorientation de celui-ci vers les partis de Droite et particulièrement pour le Front National le montrent (voir en annexe les résultats de l’enquête IFOP à la page 98).

[2] Je tiens compte ici des observations faites sur la population étudiée et parallèlement aux résultats de l’élection présidentielle du premier tour (voir annexe page 98). Ce résultat est représentatif des convictions politique des électeurs bien plus que les résultats du second tour,  où l’offre politique plus réduite ne témoigne pas de la véritable sensibilité politique de l’électeur.

[3] L’enjeu est (aujourd’hui comme hier) la répartition des richesses produites.

[4] Op. cit.

[5] Op. cit.

[6] Malinowski Bronislaw, une théorie scientifique de la culture, Paris, seuil, 1968, p. 36

[7] Morin Edgar, Introduction à une politique de l’homme, Paris, Seuil, 1965

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( 13 août, 2011 )

LA CRISE, UNE CHANCE ?

La crise sur les crédits immobiliers survenus en 2008 aux E.U se poursuit aujourd’hui avec celle des dettes souveraines. La cigale américaine ayant chanté pendant des décennies se trouve aujourd’hui bien dépourvue. Dans la probable incapacité à honorer sa dette,  l ‘agence de notation S&P à dégradé sa  note, surenchérissant le taux d’emprunt de ce qui reste de  la première puissance économique mondiale. Les E.U non tenus par des contraintes extérieures augmenteront probablement le plafond de la dette même si aujourd’hui les républicains s’y opposent, avec le scepticisme de l’empire du milieu et celui du soleil levant.

En Europe et en France en particulier, la situation est différente. Elle impose une réforme de fond des politiques économiques et en particulier la fiscalité. Les projets et annonces se multiplient dans la perspective de la campagne présidentielle, sans être à la hauteur des urgences sociales. Création d’un fichier sur les  bénéficiaires d’allocations, augmentation de la TVA, inscription d’une règle d’or dans la constitution préservant la situation budgétaire de l’état et augmentation de l’âge légale de départ à la retraite. C’est donc une réduction des dépenses qui anime le plus l’enthousiasme du gouvernement, inscrite dans les choix économiques du début de mandat : Défiscalisation des heures supplémentaires, bouclier et niches fiscales. Ces politiques sont un échec : la croissance est insuffisante, le chômage file vers les profondeurs sans oublier les interventions militaires qui creusent lourdement les déficits.

Ceci  impose une nouvelle donne, orientée vers la préservation du pouvoir d’achat du ménage et la lutte contre l’exclusion. Quelles alternatives ? Augmenter les recettes ou réduire les dépenses. Pourquoi pas les deux ?   La réforme qui s’impose s’articulera très certainement sur l’augmentation des impôts. Ceux ci pouvant assurer un redéploiement et une marge de manœuvre budgétaire  perdue dans le mandat qui s’achève. Un  choc de demande peut  favoriser le retour à la croissance et la réduction du déficit budgétaire. Mais rien n’est certain devant les incertitudes qui chargent l’horizon. Il  s’agit d’un pari sur l’avenir. Différent de celui  de la politique de  l’offre, qui s’est imposé pendant plus de trois décennies, ayant creusé les inégalités dans la population et plombé les comptes publiques. 

La classe laborieuse à suffisamment été sollicitée au redressement des échecs du capitalisme fanatique au cours de l’histoire pour qu’elle soit aujourd’hui reconsidérée. L’état providence lui a garanti au lendemain du deuxième conflit mondial une sécurité face aux risques sociaux. Cet ambitieux projet  doit se poursuivre. Même s’il n’a pu réaliser une société d’égaux, il a su être à l’origine d’une société de semblables pour reprendre Léon Bourgeois (1). La société est toujours aussi hiérarchisée, traversée par des antagonismes de classes, alimentés par les injustices et des répartitions inégales des richesses produites. La crise est une chance, elle signe la  fin des modèles de développement et de croissance qui ont dominés les politiques économiques récentes et  excessivement libérales. Le capitalisme sans projets, de court terme, patrimonial, hérité des  années  précédentes joue son avenir et celui des nations  comme à la roulette russe sur les places financières. A New York, Londres, paris et ailleurs les places boursières dévissent.une  fois de plus.la crise marque la fin d’une époque mais aussi l’avènement  un modèle nouveau qui tarde à venir. Elle impose un retour en arrière. Une révision pragmatique nécessaire, libérée de toutes idéologies. L’hégémonie des marchés de plus en plus amnésiques est contestée. La loi de l’offre et de la demande n’assure plus les équilibres, elle entretient l’emballement et le risque de précipice. Si l’histoire des nations à échappé à l’enfer de l’utopie communiste, elle a  replongé vers une dictature du gain, du matérialisme et de l’immédiat. Un capitalisme déshumanisant,  croyant libérer  l’individu mais le piégeant dans l’illusion de l’argent et du toujours plus. Serait-ce  la fin du « business as usual » ?  Ce n’est pas certain, mais Il faut  l’espérer.

Driss.B

(1) Le solidarisme est une philosophie de pensée due au député radical Léon Bourgeois1896 qui développe ce courant de pensée dans son ouvrage Solidarité

( 26 mai, 2011 )

LA DOMINATION CULTURELLE

Manuel Castells dit que pour comprendre la société il faut l’apprécier au regard du pouvoir qui est en jeu. Manifestement, si la coopération est au centre de l’organisation sociale, la société est également le lieu de compétition ou  le pouvoir constitue  l’élément principal de convoitise et de domination. Après tout, nul ne conteste la compétition que se livre les acteurs. Ce qui pose problème au fond,  ce sont  les dispositions et les ressources mobilisées par chacun des acteurs et de leur distribution inégale. La concurrence est un des fondements de l’organisation sociale, il serait naïf de le nier.  Si dans les théories économiques celle-ci est recherchée, elle n’en constitue pas moins une barrière qui limite la situation de monopole du leader sur un marché voulant évincer tous les autres rivaux. En biologie, la théorie de l’évolution des espèces est critiquée par les créationnistes, mais  il faut reconnaitre à Charles Darwin la découverte de la  lutte que se livre les espèces vivantes les unes aux  autres dans l’objectif de survie. Les  organismes vivants  qui s’adaptent le mieux à l’environnement acquièrent la plus grande espérance de vie.  L’espace vitale se rétrécie lorsque se multiplient les espèces vivantes qui le peuplent. Ainsi en est-il de même des individus dont l’horizon social et professionnel est d’autant plus limité que les individus et leurs compétences similaires se multiplient. Comment ignorer dans ce cas la situation de concurrence dans le partage des ressources d’une société ? La loi malthusienne à valu à l’économie le  terme de science obscure, l’emploi de l’épithète ne manque pas d’ajouter  les inquiétudes face aux projections démographiques, aux craintes écologiques et à la loi du plus fort.  La justice sociale n’a pas réalisé sa grande promesse, tout au plus l’a-t-elle fait  dans l’idée  de l’égalité des chances, la plus communément admise. C’est au fond la grande victoire du libéralisme qui  se concrétise dans la reconnaissance par  tous  du résultat rapporté au seul mérite et de l’effort .Cette idée domine  à l’école précisément, lieu que l’on pensait  être un monde parfait. Peut être est ce le cas jusqu’au Bac (général pour certains, professionnel pour le plus grand nombre) quand on y arrive, mais  après ? Dans la lutte et son issue heureuse ou malheureuse se concrétise le succès qui s’est déjà  réalisé ailleurs. Le capital culturel,  élément de pouvoir  qui constitue une des ressources,  est aussi l’élément faisant l’objet de transmission assurée par l’école, ou tout au moins en constituait-il l’un des fondements. Devant la crise de celle-ci et les critiques multipliées à son égard, il semblerait qu’elle fut un instrument au service de l’élite, les enseignants en ayant pris conscience n’y peuvent finalement que peu de chose à l’exception de quelques uns sans doutes. L’école ne mérite pas toutes  les critiques, la société en porte une part et   le pouvoir politique  qui l’organise, encore plus.

La vie n’est pas une légende ou le faible confronté  au puissant l’emporte contre toutes attentes.si cela se produit, il relève de l’exceptionnel. La vie dans son ensemble est véritablement plus injuste et le sont encore plus ceux qui ont  la charge de l’organiser. La réalité est à la limite fataliste pour le faible dépourvu des ressources nécessaires à sa promotion et sa réussite sociale. On croirait dépasser la misère matérielle et l’injustice décrite dans les misérables de Victor Hugo, mais c’est sans doutes pour y replonger sous d’autres formes, tant on observe cet écart des revenus (mais surtout des ressources culturelles) qui se multiplie entre une classe aisée  et une autre moins bien dotée en  ressources nécessaires. La critique  semblable se confirme lorsqu’on évoque ces travailleurs, que l’emploi insuffisant  n’arrive plus à sauver de la pauvreté et que la détresse noie. La fonction de redistribution et la réforme de la fiscalité qui la gouverne constituera-t-elle une renaissance pour  l’état providence ? C’est sur ce sujet qu’il aurait fallut que  le débat politique se concentre et non sur le thème de la laïcité avec tout ce qu’il suscite de stigmatisation et de conflits symboliques entre les nationaux et les immigrés qu’ils accueillent. Reformer ne suffit plus, réviser la fiscalité  restera insuffisante si celle-ci doit ajouter encore plus d’injustice. Que pensez en effet des propositions de TVA sociale, si ce n’est qu’elles pèseront davantage et inégalement sur les individus ?  La domination œuvre malheureusement jusque dans la prise en compte  de quelques  réalités sociales en évinçant toutes les autres du débat. Les plus utiles et les plus urgentes. La stigmatisation de l’immigré, nouveau programme politique révèle d’une certaine façon l’échec économique et social du pouvoir  et très probablement  le côté obscure qui est le sien.

Driss.B

( 17 mars, 2011 )

LA CROISSANCE FRAGILE

Chaque « catastrophe » de la nature ramène  l’espèce humaine devant la précarité de son existence. Le séisme japonais suivi d’un tsunami nous le rappelle  avec plus de force. Au-delà des situations de détresses et des dégâts matériels, le pays du soleil levant s’expose à un risque non moins dangereux : le risque nucléaire. L’environnement  tient ici une nouvelle fois sa revanche et nous oblige manifestement à intégrer avec plus de considération la dimension écologique dans les modèles de croissance et de développement. Le développement durable ne doit pas rester une utopie, un rêve inaccessible. Considérer par les uns comme un frein à la croissance, je le considère comme l’avenir probable du capitalisme après la fin du social et du rôle joué par la fonction de  redistribution de l’état dans  la croissance. Croissance et crise se succèdent dans une boucle probablement sans fin.les cycles de croissance trouvent leur déterminant dans l’innovation et l’introduction de facteurs favorables et peu couteux dans la production. Il y a eu  la machine à vapeur, le pétrole et l’électricité. Sans Energie, quelle économie ?  Pétrole pour ceux qui en disposent au moindre coût et nucléaire pour ceux  qui souhaitant échapper à la dépendance énergétique et aux conflits géopolitiques. Ce fut le choix de la France et sans doute celui du Japon. Ce dernier était-il conscient du risque sismique ?  Très certainement ! Pouvait-il renoncer à la croissance et à cette source d’énergie peu « coûteuse » ? La réponse est évidente, en témoignent  la situation et l’ampleur des risques auxquels sont exposés les japonais mais aussi les habitants des pays voisins. Risque écologique et dommages collatéraux sont les deux volets, et sans doutes bien d’autres, qui s’imposent à l’évidence dans les leçons qu’il faut tirer de la situation. Le japon a joué à la roulette russe et a vraisemblablement perdu, reste les autres.  La responsabilité écologique et celle vis-à-vis des citoyens nationaux et des pays voisins est ainsi posée. Dans la reconstruction mondiale apparait de toute évidence un nouveau facteur déterminant les  relations internationales : Le principe de subsidiarité à l’image de celui qui gouverne l’intégration européenne et  qui pourrait s’imposer dans la nouvelle architecture mondiale. 

 

A toutes choses malheur est bon ? 

 

Une vision cynique voit dans les catastrophes une opportunité de relance économique. Très probablement la reconstruction se traduira  par une production favorable à la croissance. Toutefois, elle n’est pas sans considérer le coût d’opportunité de l’investissement .Faire et défaire c’est toujours travailler, mais il est des activités plus pertinentes que d’autres. Par ailleurs, le coût des dégâts est également à prendre en compte, traduisant finalement la destruction bien plus que la création d’une richesse. Visiblement le japon est très fragilisé par cet événement. Le pays avait construit sa réputation dans l’innovation et l’introduction des technologies pour produire des biens à forte valeur ajoutée. Privé d’espace suffisant et de ressources naturelles, il était devenu  la deuxième puissance économique mondiale, avant d’être dépassé par son voisin Chinois. Après l’évènement dramatique, que  restera- t- il  du miracle japonais ?  

 

Driss.B

( 18 février, 2011 )

LA PROTESTATION SOCIALE ARABE…ET PLUS

Les crises sont des accélérateurs du changement, elles viennent et brisent des situations établies lorsque les revendications chroniques et successives restent sans résultat et la détresse sans compassion. Ce qui se passe actuellement dans les Pays arabes illustre la conséquence d’injustices qui ont  trop longtemps durées. L’espoir d’un jour laisse toutefois la place à un avenir chargé d’incertitudes. Quel projet la révolte arabe souhaite-t-elle voir se réaliser ?  Il faut poser la question au peuple qui vit l’événement. A voir l’enthousiasme et les sentiments explosés,  l’espoir semble-t-il est à la reconstruction  de l’identité et l’émancipation  individuelle et dans son prolongement sans doute celle  d’une civilisation perdue entre le IX et le XXI siècle. C’est très certainement une chance laissé au peuple arabe de poursuivre l’histoire qui est la sienne et dont elle a été trop longtemps privée. Je ne parlerai pas ici des régimes politiques qui ont dominé l’ensemble des pays et source de la révolution actuelle davantage culturelle qu’islamiste. Peut être ont-ils trop tardé à laisser s’exprimer des revendications sociales et humaines de justice sociale. La meilleure chance offerte à un pays et le régime politique qui le gouverne. Le pire est aussi le régime politique qui le gouverne. Il faut se saisir de l’idéal  démocratique. Même s’il reste difficile à réaliser il constitue l’élément critique de l’organisation sociale, de sa légitimité et de son maintien.la réussite n’est plus à l’affrontement ou au conflit culturel ou religieux, la vague de protestation actuelle est le produit d’une jeunesse éduquée et portée par des ambitions qui dépassent  l’affrontement du spirituel et du temporel, de l’orient contre l’occident ou du bien contre le mal. C’est la situation d’une société sécularisée ayant pris conscience d’elle-même et du pouvoir qui est le sien d’écrire son histoire. C’est la traduction d’une réaction populaire pour la justice. On ne peut  priver les individus   de leur liberté et de l’avenir qu’il souhaite voir se réaliser.

 

S’il apparait que deux pays se soit  débarrassés des représentants de régimes politiques dépassés et corrompus, il reste les forces invisibles  et les systèmes qui les ont gouvernés. Moubarak et Ben Ali constituaient-ils le système tellement critiqué, ou bien en étaient-ils que les instruments ? C’est à ces difficiles questions que les peuples et les représentants actuels du gouvernement laissé vacant doivent trouver une réponse. La situation stratégique occupée par l’Egypte dans le jeu du conflit israélo-arabe laisse présager une réponse probable pour la situation égyptienne. Pourquoi de tels doutes ? Pour y répondre, une nouvelle question : Pourquoi deux hommes d’états ayant dominés la vie politique pendant de très longues années décident-ils de quitter le pouvoir ?

 

Un acteur difficile à identifier semble se cacher derrière le jeu complexe du Moyen Orient. Il y a derrière le printemps arabe et l’espoir qu’il suscite quelques craintes qui assombrissent l’horizon. La principale qui menace l’équilibre semble être une dictature de l’ombre. Il faut pour l’individu s’émanciper de cette croyance qui fait de la victoire d’une bataille celle de toute la guerre ! L’enjeu et le destin arabe ne se joue plus  à l’intérieur de ses frontières mais sans doute au delà ! C’est au-delà de ses frontières que la réussite économique, politique et culturelle se réalisera très certainement aussi. Le temps de la domination ou du monopole de la violence  et de la souveraineté peut être est révolu. A l’image de l’impuissance des états face à une globalisation qui échappe à toute influence souveraine. La nation arabe doit reconquérir dans le nouvel environnement la place qui est la sienne. Le retard de développement qui semble  être un handicape ne l’est sans doute pas. « Il faut regarder le passé pour comprendre l’avenir »,  faire le bilan de l’histoire sociale, économique et politique des pays dits développés et y trouver un nouveau contrat social arabe. Il faut offrir à la jeunesse arabe  des perspectives de vie à la hauteur de ses espoirs et de ses ambitions. Une telle réalisation demeure dans la prise en compte de ses projets et dans la promotion de tous, le nouveau projet  politique doit réunir toutes les forces et les ressources dont il dispose pour la reconstruction d’une civilisation arabe oubliée. Celle des ibn Khaldoun, Averroès, Avicenne et Ghazali. Une civilisation aujourd’hui  qui n’est plus que l’ombre d’elle-même, identifiée à une image sombre et qu’il faut désormais effacer des représentations occidentales : le terrorisme islamique. Oui, la nation arabe vaut bien plus que cela. Elle doit relever le défi au nom du siècle des lumières passées. Ayant été le trait d’union entre la civilisation grecque et la renaissance européenne, elle mérite de beaucoup plus de reconnaissance. Mais c’est  à elle de le prouver et de saisir l’évènement historique qui se présente à elle.

 

Driss.B

( 1 janvier, 2011 )

ANNEE CRITIQUE ET ANNEE D’ESPOIR ?

L’année 2010 aura été celle des catastrophes naturelles, la tempête Xynthia, l’éruption du volcan islandais au nom imprononçable, les inondations du Pakistan sans oublier le tremblement de terre à Haïti. Cette dernière  situation est d’autant plus dramatique qu’elle touche un pays  où 76 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté : « un malheur ne vient jamais seul ! ».Sans vouloir minimiser ces évènements l’actualité n’est pas seulement faite de faits divers qui font diversion pour reprendre P.BOURDIEU dans une de ses critiques qu’il adresse sur la télévision :

 

La crise économique se poursuit à travers celle des dettes souveraines, la Grèce en premier lieu, l’Irlande ensuite en attendant les autres. L’évènement s’accompagne du possible et improbable éclatement de la zone euro évoqué par les uns et redouté par les autres. Une crise dont il faut chercher ailleurs que dans la seule responsabilité d’un homme (Affaire Kerviel), les origines du mal financier, dont on aimerait faire un exemple en France. Les banques principales actrices de l’acte 1 de la crise sont relativement épargnées  des mesures promises par le G20, l’Europe et les E.U mise à  part les accords de Bâle 3 qui imposent des niveaux de capitaux plus élevées dans le passif des bilans des établissements financiers.

 

La crise n’est pas encore terminée elle se prolonge et se traduit dans  la dette des états et  les mesures de rigueur qui  s’imposent à eux. La situation crée   un sentiment d’injustice, alimentant encore plus la fracture entre le monde politique secoué par les affaires financières (Karachi, Bettencourt) et le peuple. La réforme des retraites qui aura été le symbole du mouvement social en 2010 est caractéristique de l’incompréhension et de la distance qui sépare le peuple et le pouvoir qui les represente. Dans ce climat de violence symbolique et d’injustice se durcit le ton des politiques impuissantes à trouver une solution aux situations sociales tendues des individus qui les vivent. C’est dangereusement dans le discours populiste stigmatisant une population précise que l’histoire sombre de la politique se poursuit faisant de l’étranger la raison de tous ses échecs et éloignant les individus d’une réalité plus certaine et immédiate : l’échec politique. Le problème d’intégration est certain et la légitime question sur l’identité nationale sous jacente est restée enfermée dans le débat du port de la burqua. Le conseil constitutionnel révisera néanmoins  la mesure d’interdiction de la tenue, confronté au droit constitutionnel de la liberté individuelle et le droit de culte ainsi que le droit fondamental des individus protégé par la CEDH (la cour européenne des droits de l’homme). La justice ou ce qu’il en reste est effectivement l’élément critique sur lequel l’Etat de droit peut être apprécié. C’est ce débat qui a occupée la situation en France dans les derniers mois de l’année  à travers les mesures sécuritaires et leurs dérives au nom de la protection des individus.  Enfin le développement durable n’échappe pas à la situation d’échec. Beaucoup de bruit pour une conclusion insatisfaisante du grenelle de l’environnement. Une mesure très médiatisée portait sur le projet de réduction des GES intitulé la taxe Carbonne faisant supporter l’ensemble de l’effort sur les particuliers, oubliant les plus gros pollueurs. Après l’échec du sommet de Copenhague en Décembre 2009, le sommet de Cancun laisse filtrer des espoirs qui restent pour l’essentiel à concrétiser (lutte contre la déforestation, fond vert et transfert de technologie).Sans doute existent-ils  d’autres sujets tous aussi importants, le bilan pourrait alors paraitre plus sombre ou plus encouragent mais l’essentiel est de retenir les évènements qui ne seront pas sans conséquences pour les années qui viennent. Sur la géopolitique particulièrement. En effet, l’affaire wikileaks semble participer davantage de la liberté d’expression que celle de vouloir nuire volontairement à une diplomatie ou à une autre, remettant en cause sa raison d’être. L’arrestation du fondateur julian Assange témoigne de la situation tragique  des sources journalistiques et de leur protection. Après le quatrième pouvoir que constitue la presse, n’assisterions nous pas pour l’intérêt du plus grand nombre à l’avènement d’un cinquième pouvoir ?

Driss.B

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